Apports culturels des Mongols de Gengis Khan. Conquêtes, chiffres, citations d'historiens

Article publié le 17/05/2019

Les Mongols étaient-ils des libérateurs bourrus ? A quels secrets stratégiques eurent-ils recours? Pratiquaient-ils la tolérance religieuse et furent-ils les premiers laïcs ? Gengis Khan fut-il un cas psychiatrique singulier? L’excellence martiale mongole était-elle uniquement basée sur la vertigineuse cadence de tir des archers tatars (jusqu’à 25 flèches à la minute) ? Enquête et hypothèses. 

 

Entre le XIIIème et le XIVème siècle, les Mongols déferlent sur une large partie de l’Asie, du Moyen-Orient et de l’Europe ; comme chacun sait, rien ne semble leur résister. Les grandes civilisations vacillent, y compris les rugueux territoires musulmans. “Les Tartares, fils de l’enfer, surgissent tout à coup comme la colère divine ou l’éclair”, écrit l’empereur Frédéric II à Henri III, roi d’Angleterre. Successivement, la Chine, l’Asie centrale, l’Iran, le Caucase, la Russie, l’Iraq, la Syrie, la Corée, le Tibet, etc. sont dévastés, puis assujettis.

 

Mais au-delà du mythe un peu lénifiant, qui furent réellement les Mongols ? Des “hordes” sanguinaires sans foi ni loi, ou bien, plus profondément, des émancipateurs inattendus, défenseurs acharnés de la liberté de culte et artisans pragmatiques de la rencontre entre civilisations ? Quelle était la place des femmes chez eux ? Comment l’épopée genghiskhanide permit-elle la constitution du plus grand empire continental jamais connu jusqu’à nos jours ? Grâce à un sens aiguë de l’administration, des tactiques militaires novatrices, ou par l’assimilation des peuples conquis ?

 

Gengis Khan unifie les tribus mongoles

 

Né vers 1155 dans l’actuelle Mongolie, Temüdjin, le futur Gengis Khan, a une enfance difficile ; son père, un chef de clan, meurt empoisonné. Orphelin à neuf ans, son existence bascule dans la précarité ; la faim lui fourrage régulièrement l’estomac. Il tue un jour Bekter, son demi-frère, car celui-ci lui a subtilisé quelques vivres. Plus que la faim, c’est la vengeance qui guide le geste du jeune homme ; il entendait effacer l’humiliation dont il s’estimait victime. Quelques années plus tard, il est captif d’un clan ennemi et s’échappe en assommant son gardien ; au fil du temps, son caractère guerrier s’affirme et se mue en ténacité de fer.

 

Parallèlement, il tisse des alliances et fédère les tribus de la région sous son égide après les avoir habilement opposées les unes aux autres (Keraïts, Naymans, Merkits, etc.) ; “en 1202, Temüdjin écrasa les Tatars [ceux-ci assassinèrent son père], vieux ennemis des Mongols, lesquels allaient paradoxalement se retrouver affublés plus tard de ce nom détesté” (cité dans Iaroslav Lebedynsky, La Horde d’Or). En Occident, on emploie le terme de “Tartare”, en référence à l’enfer de la mythologie gréco-romaine. Rappelons aussi qu’à cette époque, la Mongolie est peuplée par des nomades, les uns de langue mongole, les autres de langue turque. Ainsi, l’Empire fondé par Gengis Khan et celui de ses héritiers est en réalité turco-mongol, et non exclusivement mongol ; dans le cas de la Horde d’Or, qui règne sur la Russie pendant deux siècles et demi, il est essentiellement turc.

 

Premières invasions

 

En 1206, lors d’une grande assemblée (quriltaï), Temüdjin est proclamé Činggis qa’an - Gengis Khan en français -, c’est-à-dire “empereur océanique” ; les Mongols, convaincus d’être promis à la domination universelle, se lancent à l’assaut des pays voisins : “Les Tatars voyaient leur grand khan comme une puissance divine, intermédiaire entre ciel et terre et considéraient de ce fait les autres nations comme leurs sujets” (in John Channon, Atlas historique de la Russie).

 

Après avoir lancé quelques raids stériles en Sibérie, les Mongols investissent le royaume des Tangut, au sud de leur territoire ; la guerre est âpre et dure près de deux décennies. Les cavaliers mongols, nomades renfrognés, se révèlent incapables de s’emparer des villes ; frustré, Gengis Khan entreprend une opération militaire mégalomane : il détourne le fleuve Jaune pour inonder Eriqaya, la capitale, mais c’est un nouvel échec. Seules les dévastations (incendies, pillages, rapts, etc.) des campagnes poussent le roi à capituler.

 

En 1211, l’armée mongole traverse le désert de Gobi et prend d’assaut la Chine du Nord ; s’ils mettent aisément en déroute les Chinois qu’ils affrontent dans les plaines, les voici de nouveau impuissants devant l’obstacle de la Grande Muraille, un ensemble complexe de fortifications dont les murs atteignent près de 7 mètres de hauteur sur 6.000 kilomètres de long (5000 km entre Paris et Bagdad…). Dépourvus d’engins de siège, les nomades errent sans but ; c’est à la faveur d’une révolte fomentée par un descendant de l’ancienne famille impériale qu’ils franchissent l’enceinte fortifiée, en plusieurs points. Dans le même temps, ils envahissent la Mandchourie, plus à leur portée car couverte de vastes plaines herbeuses; en poursuivant les fuyards, ils débouchent en Corée et atteignent l’océan Pacifique.

 

Pékin tombe, le Khârezm désavoue un traité d’alliance

 

Devant l’impossibilité de prendre Pékin, Gengis Khan conclut une paix avec les élites locales ; effrayée par les envahisseurs, la cour se retire plus au Sud. Le Grand Khan revient en hâte ; l’armée chinoise, lente et confuse, est balayée. Dans la panique, il est rapporté que 60.000 femmes se seraient jetées du haut des murailles afin d’échapper aux conquérants ; concurremment, un immense exode jette sur les routes 1 million d’individus. La famine sévit. Enfin, une jacquerie éclate, connue sous le nom de “révolte des Manteaux rouges” ; la guerre civile se prolonge jusqu’en 1223. Pékin est prise ; la résonance de cette victoire donne au Khan une sérieuse notoriété, qui dépasse vite les frontières.

 

“Les Mongols étaient devenus frontaliers de l’empire du Kharezm, empire turco-iranien à la brillante et antique civilisation (…) C’était un État immense, qui couvrait presque tout l’Iran, la Transoxiane [Asie centrale], l’Afghanistan, et s’étendait du golfe Arabo-Persique aux rives du Syr-Darya, de la Caspienne aux abords de l’Inde” (cité dans Jean-Paul Roux, Histoire de l’Empire mongol).

 

Afin de s’enrichir, Gengis Khan souhaite établir des relations commerciales avec le souverain de cet État, Muhammad Châh ; songeons qu’en ce temps, un point majeur du commerce international est compris dans la zone tenue par les Ouïghours et les musulmans. Muhammad signe un traité d’alliance mais se rétracte presque aussitôt ; pire, il assassine un ambassadeur des Mongols et en tue un second lors d’une nouvelle mission. Gengis Khan prépare minutieusement un plan d’invasion.

 

L’Asie centrale est dévastée

 

Gengis Khan rassemble entre 150.000 et 200.000 hommes ; le choc se précise. Muhammad met en place son dispositif central en Transoxiane et y concentre plusieurs dizaines de milliers d’hommes ; selon le chroniqueur persan Juvaini, le souverain musulman dispose également de 20 éléphants. “Les villes du Kharezm qui se rendirent aux envahisseurs furent dans l’ensemble épargnées, semble-t-il, mais celles qui refusèrent de se soumettre ou fermèrent leurs portes en signe de neutralité malveillante firent l’objet d’exactions violentes. Les destructions des qanat - les canaux d’irrigation - furent particulièrement graves pour ces oasis” (in Michel Hoàng, Gengis Khan).

 

La cité de Bukhara perd, selon les estimations, de 12.000 à 30.000 vies, dont des imams. Muhammad s’en sert comme prétexte pour appeler à la guerre sainte.

 

Lors du siège de Samarkand [ville située dans l’actuel Ouzbékistan], Gengis Khan déguise des captifs en unités de combat pour donner une impression de surnombre et ainsi démoraliser l’adversaire ; cela fonctionne. Les défenseurs tentent une sortie ; c’est une hécatombe. Entre 50.000 et 70.000 hommes perdent la vie ; quelques jours plus tard, la ville rend les armes. Avisés, les Mongols offrent une protection aux théologiens afin de prouver qu’ils ne mènent pas une guerre de religion ; le Châh envoie des armées de secours, mais elles sont repoussées. Face à ce déchaînement de violence, de nombreux Turcs des environs offrent leurs services au Khan ; celui-ci, intransigeant avec ses valeurs, les fait tous exécuter, arguant qu’il n’accepte pas dans ses rangs des traîtres ou des déserteurs.

 

Le Châh s’enfuit, le prince héritier continue la lutte

 

Affolé, le Châh prend la fuite vers l’ouest ; Gengis Khan envoie ses meilleurs officiers (Djébé et Süböteï) à ses trousses. Le fugitif est poursuivi dans tout le royaume ; il parvient néanmoins à se dérober. La chasse à l’homme dure neuf mois. Lorsque ses poursuivants atteignent le Kurdistan, Muhammad se juge perdu ; il se retire alors sur un îlot de la mer Caspienne et meurt dans le dénuement le plus complet (vers décembre 1220). Son fils, le prince héritier Djalal al-Din Manguberti, continue le combat contre les Mongols ; il mène deci delà des actes de guérilla et inflige de sérieux revers aux envahisseurs. Gengis Khan se montre impitoyable : “Ce sera un déferlement comme l’histoire en a bien peu connu et qui, même à l’époque mongole, pourtant fertile en holocaustes, semble ne pas avoir d’équivalent” (cité dans Jean-Paul Roux, Histoire de l’Empire mongol).

 

De la sorte, le Khan s’empare de Gurgendj, Merv et autres cités qu’il met à feu et à sang ; dans l’actuel Afghanistan, son petit fils préféré, Mütügen, est tué par une flèche. Sa fureur redouble ; il est pourtant tenu en échec lors de la bataille de Perwan. Les musulmans, survoltés par ce succès au demeurant modeste, se livrent à leur tour à des exactions. À Herat, le Grand Khan ravage la ville : “pas une tête ne fut laissée sur un corps, pas un corps ne conserva une tête”. Téméraire, le chef mongol poursuit Djalal al-Din jusque sur l’Indus ; le Khan capture son fils ainé (un enfant d’à peine huit ans) et l’exécute. De peur de voir ses autres proches être pris à leur tour, le prince se cloître dans la démence et fait noyer sa mère, ses épouses et les autres femmes du harem. Finalement, il échappe de peu à ses poursuivants en traversant le fleuve, sous une pluie de flèches.

 

Le Caucase et la Russie sont investis

 

Dans leur lancée, à l’Ouest, les généraux de Gengis Khan s’enfoncent jusqu’au coeur du Caucase ; en février 1221, ils triomphent des Géorgiens près de leur capitale, Tiflis. L’une des tactiques favorites des Mongols est la fuite simulée ; Plan Carpin, un moine franciscain envoyé du pape chez les Mongols, avertit : “Si la victoire leur paraît impossible, ils rebroussent chemin par ruse, afin d’attirer l’adversaire dans une embuscade soigneusement préparée. Malheur à l’ennemi qui leur donne la chasse et se fait prendre au piège ; aussitôt les Tartares l’encerclent, le frappent et l’exterminent”. Stratagème évidemment inconvenant au regard du code d’honneur de la chevalerie chrétienne du Moyen Âge, adoptée à cette époque par les Géorgiens… mais redoutablement efficace. Les Mongols prolongent leur raid dévastateur en Russie méridionale ; la province est aux mains des Qiptchaq, aussi appelés Polovtses par les Russes ou Comans par les Grecs. Ce sont des cavaliers et des nomades, héritiers d’un vieux peuplement turc.

 

Leurs voisins directs sont les principautés russes. Aucun des deux n’échappe au carnage ; leur alliance de dernière minute ne permet pas d’endiguer les “hordes” mongoles. “Le 16 juin 1223, sur la rivière Kalka, les Mongols contre-attaquèrent et détruisirent les troupes galiciennes. L’armée du Grand-prince de Kiev se replia derrière des fortifications de fortune mais ne put tenir que trois jours avant de devoir se rendre. Les captifs furent massacrés, ceux de rang princier eurent le douteux honneur d’être étouffés lentement (pour ne pas verser leur sang, conformément aux croyances mongoles)” (in Iaroslav Lebedynsky, La Horde d’Or). Pour les Russes, cet épisode marque le début de la tatartchina, “l’asservissement aux Tatars”. À l’autre bout du royaume, en Chine, le long siège de Kaifeng, la capitale de l’empire song, fait 900.000 victimes - c’est presque autant que durant le siège de Leningrad (1941-1944) ; des cas d’anthropophagie sont rapportés.

 

Gengis Khan meurt, l’Empire se fissure

 

En 1226, selon l’Histoire secrète des Mongols, la principale source mongole (compilée vers le milieu du XIIIème siècle), Gengis Khan fait une chute de cheval et se blesse gravement ; l’année suivante, il décède. L’Empire mongol ne tarde pas à se désagréger : “Cet Empire, le plus vaste qui ait jamais existé, ne résiste pas aux rivalités qui opposent les quatre fils de Gengis Khan et qui le disloquent en khanats bientôt ennemis : Kiptchak (Horde d’Or) et Horde Blanche détenus par les héritiers de l’aîné, Djutchi ; Asie Centrale possédée par ceux du second, Djaghataï ; Chine (empire des Yuan) et Perse (empire de Ilkhans) fondées respectivement par Kubilay (1249) et par Hulagu (1256), tous deux fils du cadet Tuli.” (cité dans Georges Duby, Atlas historique Duby). Remémorons-nous qu’à la mort d’Alexandre le Grand (323 av. J.-C.), son royaume est disputé âprement entre ses généraux, les Diadoques.

 

Partout, des soulèvements populaires éclatent ; les Mongols s’emploient à “pacifier” les régions rebelles. Dans certains cas, les révoltes donnent du fil à retordre à l’envahisseur ; ainsi, en Corée, le relief montagneux contraint les conquérants à une lutte inlassable et stérile. En Chine, il faut enrôler des Chinois pour venir à bout des dernières résistances. En Europe, les Mongols font régner la terreur ; des chevaliers teutoniques alliés aux Polonais sont écrasés en Silésie à la bataille de Liegnitz (1241), tandis que la Croatie est envahit et que les Hongrois sont littéralement décimés (certains chroniqueurs évoquent 1 million de morts !).

 

Les conquérants sont aux portes de Vienne ; l’Europe occidentale frémit. Contre toute attente, les attaques cessent. De nos jours, la mort du successeur officiel de Gengis Khan, Ögödeï, est souvent avancée pour expliquer ce retrait soudain ; contrairement à la plaisante légende, les envahisseurs et leurs montures ont en vérité rebroussés chemin car fatigués. Selon l’historien Jean-Paul Roux, ils sont à court de provisions et leurs chevaux manquent d’herbage.

 

Les Mongols : des libérateurs ?

 

En dépit des immenses destructions et pillages dont ils sont les auteurs, certains peuples voient dans les Mongols des sortes de libérateurs apocalyptiques ; les Arméniens jugent leur présence salvatrice car ils les libèrent du “joug musulman”. Cette vieille nation chrétienne fournira, au même titre que la plupart des nations conquises, de nombreux auxiliaires militaires aux Mongols, notamment lors de la campagne de Syrie (aujourd’hui Liban, Israël, Jordanie, Syrie) où le roi Hethum d’Arménie, met en personne le feu à la Grande Mosquée d’Alep. La campagne d’Iraq, menée de main de maître plus tôt, enfonce le territoire de l’islam comme du beurre ; plusieurs cités frôlent la destruction totale (40.000 morts à Wasit, 110.000 morts à Bagdad, etc.). Selon Hülegü, le chef de l’Ilkhan de Perse, cette fois, les vainqueurs se retirent “à cause des chaleurs et de la disette”.

 

Lorsque les Mongols reviennent dans la région, les Mamelouks d'Égypte les en chassent et les Chrétiens subissent en retour la fureur de leurs anciennes victimes. Tandis qu’il retourne triomphant au Caire, le sultan mamelouk Qutuz est renversé par le général Baïbars ; celui-ci, d’origine Qiptchaq, se révélera un farouche opposant des Mongols. Dans cette perspective, il tisse des liens étroits avec Berké, le chef de la Horde d’Or, le premier souverain mongol à se convertir à l’islam ; il veut tirer profit de l’animosité qui règne entre ce dernier et son cousin Hülegü, lui, ouvertement favorable au christianisme. Périodiquement, il attise donc la rancoeur et l’inimitié entre eux.

À leur disparition, leurs successeurs (Mengü Temür et Abaga) continuent la même politique, l’un cherchant l’alliance avec les Latins, l’autre avec les Égyptiens et tous deux lorgnant sur un rapprochement avec les Byzantins. Souvenons-nous de la lettre écrite par le souverain mongol Arghun, régnant sur l’Ilkhan d’Iran, qui demande au roi de France Philippe IV le Bel de s’allier avec lui pour reconquérir Jérusalem.

 

Un rapport à la religion complexe

 

Les Mongols sont traditionnellement animistes ; certains sont chrétiens nestoriens. En outre, ils sont adeptes du chamanisme et du culte des “idoles”. Sont-il tolérants ? “La grande majorité des spécialistes des Mongols au XXème siècle attribuent aux Mongols du XIIIème siècle le trait anachronique de “tolérance religieuse” (…) Ce qui est à l’oeuvre, dans les attitudes mongoles envers des religions comme le christianisme ou l’islam, n’est guère de la “tolérance” ou de l’œcuménisme, mais la conviction que la religion est avant tout une question de pratique ou d’affiliation communautaire” (in Devin DeWeese, Islamization and Native Religion in the Golden Horde).

 

En d’autres termes, les Mongols sont conciliants à condition que les peuples conquis leur restent soumis, peu importe qu’ils gardent leurs croyances personnelles ; en son temps, l’Empire romain autorisait les Gaulois à croire en leurs divinités tout en apportant les leurs, ce qui pouvait aboutir à un certain syncrétisme. Fait notable, les Mongols accordent aux minorités religieuses la liberté de culte ; ils légifèrent sur le sujet. Le prince mongol musulman Mengü Temür décrète la mort contre toute personne coupable de calomnier la foi orthodoxe. En Russie, le clergé orthodoxe bénéficie de privilèges (exemption fiscale, non obligation d’enrôlement militaire, etc.). En Asie, Gengis Khan promulgue dès 1223 un édit qui exempte d’impôts le maître du taoïsme ; les Mongols jouent aussi un rôle d’arbitre en Extrême-Orient entre les deux grandes doctrines (Bouddhisme et Taoïsme), notamment lors du congrès de Chang-tou.

 

Toutefois, notons que les populations turcophones et les souverains mongols convertis aux religions monothéistes gardent leurs coutumes ; c’est pourquoi, entre autres dans l’islam, certaines croyances et principes s’opposent parfois à la charia. Le savant marocain Ibn Battoûta (1304-1368) et l’historien arabe al-Umari s’en indignent ; ce dernier s’offusque devant la liberté des femmes. Il déclare : “Les habitants de ce pays [le Qiptchaq], ne suivent point les ordonnances des califes : leurs femmes prennent part à l’administration de l’État et rendent des édits comme les hommes”.

Tactiques guerrières

Outre la force et la ruse, nous l’avons vu, Gengis Khan et ses héritiers utilisent la diplomatie ; l’autre pilier de leur stratégie s’appuie sur une organisation militaire très pensée : “Au XIIIème siècle, les Mongols possédaient la meilleure armée du monde. Son organisation, ses méthodes d’entraînement, ses principes tactiques et la structure de son commandement ne paraîtraient guère étrangers à soldat de notre époque (…) L’organisation de l’armée était basée sur des multiples de dix. Une division de dix mille hommes, le tümen, comptait dix régiments de mille hommes, les minggan, eux-mêmes formés de dix escadrons de cent soldats, les djaghoun” (in James Chambers, The devil’s horsemen).

 

Bien qu’ils n’aiment pas mener des sièges, les Mongols prétendent que lorsque leurs ennemis se claquemurent dans un fort ou une ville, “leurs pourceaux sont enfermés dans un parc”. Quant à l’armement individuel, Plan Carpin affirme que “chaque combattant est muni à tout le moins de deux ou trois arcs, ou d’un seul d’excellente qualité (…) Les plus riches sont pourvus d’un glaive effilé à l’extrémité, tranchant d’un côté et de forme légèrement incurvée”. Selon certains spécialistes, les cadences de tir des archers tatars pouvaient atteindre jusqu’à 25 flèches à la minute et leurs projectiles être propulsés à plusieurs centaines de mètres - un témoignage assure même qu’un archer mongol envoya une flèche à plus de… 700 mètres. À titre comparatif, pendant la guerre de Cent Ans (1337-1453), les archers anglais disposent d’un arc, le long bow, tirant des flèches à 150 mètres.

 

Fin de l’Empire mongol

 

À partir du milieu du XIVème siècle, les empires mongols disparaissent progressivement, dilués dans les Nouvelles entités politiques locales; leurs raids sanglants et leurs tentatives avortées d’invasion de l’Inde et du Japon en particulier traversent toutefois les siècles. Marco Polo et son récit de voyage en Chine - ainsi que le conquérant centre-asiatique Tamerlan et sa quête de reconstitution de l’empire de Gengis Khan dans une version turque et musulmane (il s’allie puis s’oppose à un souverain mongol), concourent à forger cette légende ; l’épisode de la Grande Peste (plus du tiers de la population d’Europe occidentale périt, soit entre 20 et 25 millions de personnes), propagée par les Mongols lors du second siège de Caffa (1345), en Crimée, est aussi notoire. Seul le khanat de Crimée (1441-1783) se maintient mais devient plus ou moins un protectorat de l’empire ottoman ; il disparaît définitivement lorsqu’il est annexé par l’empire russe de Catherine II (dite la Grande, 1762-1796).

 

Concernant le cas psychique de Gengis Khan, on pourrait avancer quelques conjectures, plus ou moins pertinentes. Un petit passage de l’œuvre du psychanalyste Eric Brenman pourrait éventuellement intéresser :

« Dans les cas de cruauté, le processus normal qui conduit un enfant à voir sa mère comme une personne séparée qui ressent de la douleur, de la joie et donne de façon créative, se trouve expulsé avec haine de la perception, amenant le développement d’un esprit borné. La limitation de la perception restreint les images de l’objet entier au rôle d’un mamelon que le patient possède, et par là même aussi l’amour et la culpabilité conscients. Il est exigé de cet objet qu’il soit idéal et prenne l’idéal du patient en considération, faute de quoi il sera puni de façon vengeresse » ("Cruauté et étroitesse d'esprit", Revue française de psychanalyse 2002/4 (Vol. 66))

 

Jérémie Dardy

 

 

Pour aller plus loin :

Laurence Bergreen, Marco Polo : From Venice to Xanadu, Vintage, 2008

James Chambers, The devil’s horsemen, Atheneum, 1979

John Channon, Atlas historique de la Russie, Autrement, 2003

Devin DeWeese, Islamization and Native Religion in the Golden Horde, Pennsylvania State University Press, 1994

Georges Duby, Atlas historique Duby, Larousse, 2007

Marie-Dominique Even, Rodica Pop, Roberte N. Hamayon, Histoire secrète des Mongols - Chronique mongole du XIIIème siècle, Gallimard/Unesco, 1994