Claire Bretécher, philosophie de l'humour bd, intelligence du dessin

Article publié le 12/06/2018

« On peut absolument plus faire d’humour avec les gens de droite. Parce que les gens de droite sont des gens complètement cohérents. C’est-à-dire qu’ils vivent comme ils pensent, il y a pas de rupture. Alors que les gens de gauche vivent d’une façon et pensent d’une autre, alors ça fait des effets comiques » (Claire Bretécher, itw, RTS)


Auteure de bd au comique simple et direct (Cellulite, les frustrés…), Claire Bretécher a marqué les seventies par un coup de crayon doucement ironique et perspicace… à tel point que l’intelligentsia germanopratine a fini par la baptiser meilleure sociologue de France.


Au-delà de ce bel honneur – qu’elle prenait humblement pour une boutade – Claire Bretécher a toujours su dépasser les pièges du sens intellectuel commun. Sa recette ? Une indifférence hargneuse envers la politique et sa cuisine hypnotisante, un ego de femme simple et sans façons, orientée à gauche mais sans la moindre obsession théorique ; en somme, une femme hostile aux vertiges du narcissisme intellectuel. Dans les années 70, elle confiait tranquillement à la télévision suisse :


« Je suis anti-militante de nature, oui, c’est une forme de lâcheté. C’est-à-dire que j’ai pas du tout le désir de convaincre » (Claire Bretécher, Itw, RTS)


Ou encore :


« D’ toute façon faut bien que j’fasse quelque chose pour bouffer, et à l’âge que j’ai maintenant je vais pas me lancer dans le secrétariat ; de toute façon j’y arriverais pas. Alors… J’ai pas tellement le choix, c’est ça ou rien ! Ou je peux trouver un vieux, aussi, éventuellement [rire] » (Claire Bretécher, Itw, RTS)

 

 

 


Ce naturel déconcertant permettait à Claire Bretécher, lorsqu’elle élaborait ses bandes dessinées, de croquer l’absurdité du quotidien sans adjuvant idéologique ; chez elle, la nature humaine est restituée dans sa concrétion dérisoire et comique. L’effet sur le lecteur est immédiat ; il s’agit d’un humour elliptique, sans surcharge intellectuelle pour le biaiser.


Le plus curieux, c’est au fond Claire Bretécher elle-même : dans les années 70, il s’agit d’une très jolie jeune femme blonde, désabusée, son visage anguleux exhale quelque chose de très triste et d’abîmé, comme un songe noir qui cacherait une fragilité béante. Les dessins de Claire Bretécher sont souvent tombés juste parce que la main qui les réalisait se foutait bien de la vérité du jour, du risque de se tromper, de tomber dans l’incohérence.


La philosophe Monique Castillo a dit un jour :


« C’est par là que commence la liberté : c’est reconnaître qu’on ne savait pas. Et c’est ça penser par soi-même, c’est avoir le courage de dire : « Mais… mais ce que je pense, mais c’est… mais c’est tout faux ! Il faudrait peut-être que je commence à me renseigner ! » (Conférence, Observatoire Midi-Pyrénées, 20 novembre 2012)


Nous avons là tout Claire Bretécher ; certainement pas la meilleure sociologue de France – il faut absolument théoriser, conceptualiser – mais une artiste dessinatrice de premier ordre.  La bande dessinée, avec elle, atteint de vrais sommets. Ceux auxquels on accède par une génialité heurtée.