Critique du style de Zola en littérature. Balzac était-il meilleur écrivain? L'art et le réalisme

Article publié le 27/06/2019

« M. Zola se moque bien du suffrage de Racine. Il a le suffrage universel »


C’est par une pique bien rugueuse, enfoncée dans Le Constitutionnel du 29 janvier 1877, que Barbey d’Aurevilly condense toute sa réserve contre Zola. Mais le grand spiritualiste ne s’arrête pas là. Profitant de la sortie de l’ouvrage L’Assommoir, il rédige une critique sévère, partiale (après tout, la subjectivité peut tomber juste), mais surtout haineuse contre Emile Zola et son œuvre.


En substance, que lui reproche-t-il ? De détourner la définition de l’art en l’abaissant au réalisme, à la brutalité du réel. Ce qui est intéressant, c’est que ce reproche est aujourd’hui le même face aux artistes trash, lesquels se contentent souvent – il est vrai – de choquer plutôt que d’édifier (c’est plus facile).

 


Barbey d'Aurevilly, portrait éloquent

 

Zola peut-il légitimement être associé à un Père de l’Eglise vomitive ? Là où Barbey d’Aurevilly semble mentir, c’est sur la qualité littéraire de son confrère. Zola sait écrire merveilleusement, et lui le nie. Il le nie par une argumentation qui ne manque pas d’intérêt : en s’approchant trop de la fange, en voulant trop la montrer, sans filtre, on finit par lui ressembler.


Zola est un artiste « en fange » comme d’autres le sont en marbre. Car en effet, « l’emploi des matières ignobles abaisse l’art et le rend impossible ». Cette assertion sous la plume d’un chrétien est pour le moins étonnante ! En effet, la Genèse ne nous montre-t-elle pas Dieu façonner l’Homme – sommet de la Création – à partir d’un peu de terre ? Ce que la Bible exprime ainsi, c’est que le Créateur est celui qui sait transcender la matière, celui qui fonde sur le néant. Or le presque rien est déjà plus que le néant.


Zola, à force de décrire le réel dans sa crudité au motif qu’il ne convient pas à l’artiste de mentir sur les faits, finit par produire « un bourbier de mots », et il en éclabousse son lecteur. L’art, le vrai, est une question d’inspiration, de capacité à élever et non à décrire, à montrer la crasse. Cela ne fait pas une morale, ni de la pensée. Zola accumule les adjectifs, les suites de mots décrivant la putridité, la littérature en sort flétrie. C’est du moins ce que pense Barbey d’Aurevilly, qui lui reproche surtout de tomber au niveau de ses personnages : ainsi Zola utilise le langage prolétaire sans le transcender ; il ne récupère pas son verbe propre lorsque ses pions ont fini de parler. Balzac, lui, savait s'y prendre. Le faubourg, les Auvergnats mal dégrossis s’exprimaient dans ses romans, mais l’auteur savait reprendre la barre, et les phrases reconquérir leur élégance. Par ailleurs, la phrase de Balzac pouvait partir loin, très loin, s’abandonner dans les airs au-dessus des matériaux de réalité exposés. Zola donc, ne serait pas un véritable écrivain, du moins un véritable artiste.


De nos jours, nous avons du mal à comprendre ce genre de critiques. Elles nous paraissent outrancières. Zola n’est-il pas un formidable narrateur ? Ses histoires ne sont-elles pas superbement charpentées ? Oui, mille fois oui. Mais il est intéressant de remarquer que l’adversité qu’il rencontra ne peut être réduite à de la pure réaction. La charge sentimentale et d’idéalisme que l’on met dans l’art conditionne notre jugement sur ceux pour qui prime avant tout l’expression nue des faits. 

 

Pierre-André Bizien

Biographe des familles