Du racisme dans le 16e arrondissement de Paris? Délinquance bourgeoise, mythe ou réalité? Sociologie

Article publié le 18/10/2018

Les noirs, les maghrébins et les non-blancs sont-ils particulièrement haïs dans le 16e arrondissement de Paris ? De nombreux témoignages l’assurent, parfois mélangés à une dose de fantasmes anti-riches. Ce qui est avéré, c’est à la fois le mépris très français envers les "bourges", tout spécialement les riverains du 16e arrondissement, et, de l’autre côté, une réelle tendance à dénigrer l’immigration étrangère venue d’Afrique.


S’il est fort difficile de mesurer ces phénomènes, il convient de les corréler à un contexte : celui d’une France très clivée qui hait ses élites. Ainsi, la population du 16e arrondissement se trouve souvent réduite à un gotha de riches racistes, de grands bourgeois végétatifs pleins de rancœur vis-à-vis de la gauche politique.


Ce qui est étonnant, c’est la haine symétrique que l’on retrouve jusqu’au sommet des institutions universitaires vis-à-vis des habitants du 16e arrondissement. S’ils prêtent assez facilement à la caricature, cette dernière est volontiers alimentée par le discours des sciences sociales, traditionnellement politisé à gauche.

 

Un exemple entre mille : la sociologue Monique Pinçon-Charlot, très idéologue et pleine de mépris pour les classes bourgeoises, a longuement étudié le 16e arrondissement. Si son travail est sérieusement documenté, la scientificité de ses études est amoindrie par leur ton d’ironie suintante, plutôt lassant à la longue. Parfois, le lecteur soupire mentalement : « oui, madame Pinçon-Charlot, on sait que vous n’êtes pas de ce monde de riches ridicules, que vous êtes du bon côté de la morale… ». Il en ressort une impression de malaise, comme s’il était au final impossible d’étudier concrètement sans apriori cette part de la population francilienne.

Pour autant, beaucoup d'analyses de la sociologue sont intéressantes: 

"Le XVIe arrondissement a une image symbolique extérieure forte de richesse. C’est vrai que l’homogénéité sociale y est importante. Mais cela ne veut pas dire que tout le monde est riche. La richesse est dispersée. A l’intérieur même de l’arrondissement, il y a une très forte ségrégation. Si l’on prend les codes postaux, le 75116, au nord de l’arrondissement, est un quartier grand bourgeois. Et à l’intérieur de ce quartier, on retrouve, sur le modèle des poupées russes, d’autres phénomènes de microségrégations, comme avec la villa Montmorency, totalement emmurée, impénétrable." (Libération, 17 mars 2016)


Le meilleur moyen d’avancer sur le sujet est de se rendre sur place et d’observer soi-même ce qui s’y passe. Effectivement, on y sent un certain climat mêlant calme placide et agressivité rentrée vis-à-vis du tout-venant extérieur. La démographie locale et le profil social, moins diversifiés qu’ailleurs, renforcent la netteté de l’état d’esprit ambiant. Des personnes plutôt âgées, aisées, ayant des problèmes relativement similaires : légitime crainte des agressions dérivant parfois en paranoïa, lassitude compréhensible vis-à-vis du regard narquois que le reste de la population jette sur le 16e arrondissement, problèmes fiscaux, embarras d’argent (charges exorbitantes, impôts excessifs) mutant en certitude d’être ravalés au rang de vaches à lait de la fiscalité nationale.


Cette complexité d’état psychologique accouche d’une réalité un peu déplaisante il est vrai, où les riverains semblent souvent sur la défensive, peu aimables face aux non-locaux (lesquels devraient aussi s’aviser de leurs propres aprioris).


Une anecdote récente pourrait nous éclairer. En 2016, un projet de centre d’hébergement pour sans-abris face au bois de Boulogne avait suscité l’opposition virulente des riverains (une assemblée générale avait failli tourner à l’émeute). L’affaire avait fait grand bruit, et les médias goguenards s’étaient emparés de l’affaire. Alain Genestar, directeur de Polka magazine, avait lui-même déclaré :

« J’ignorais, jusqu’à ces derniers jours, que l’on pouvait avoir honte de son quartier. J’ai honte du 16e arrondissement, où je vis avec ma famille depuis trente ans. J’ai honte de ce que j’ai pu voir à la télévision, entendre chez des commerçants (…). La haine de cette collectivité en colère a atteint une sorte d’apothéose dans l’ignoble et le ridicule, lors d’une assemblée générale qui s’est tenue à l’université de Paris-Dauphine, lundi 7 mars. Une AG interrompue par le doyen de l’université qui, face au désordre et aux insultes, a congédié ce « beau » monde. » (Le Monde, 20 mars 2016)


Le refus bien tendanciel de la mixité sociale dans le 16e arrondissement (parc très faible de logements sociaux) s’explique par la volonté de défendre un climat de tranquillité minimal : la population étant globalement plus âgée qu’ailleurs, ce souci est logiquement plus présent qu’ailleurs. Un véritable manque de confiance en l’avenir existe : les promesses du métissage et de la mixité sociale ne prennent pas dans le 16e, étant donné ce qui se passe ailleurs (on cite le ras-le-bol des riverains des quartiers nord de Paris, pourtant initialement accueillants, où les camps de réfugiés ont créé un climat d’insécurité très tangible).


Le racisme est donc une réalité locale, du moins une forte méfiance vis-à-vis des personnes non blanches qui ne seraient pas cravatées (ou qui n’arboreraient pas quelque signe vestimentaire rassurant) ; le "racisme tout nu", intégral, est moins présent qu’on ne l’assure. Ce n’est pas tant l’homme noir ou le basané en tant que tels qui dérangent, mais plutôt les personnes d’origine étrangère vêtus de manière populaire, éloignés des codes sociaux implicites du 16e arrondissement.


Citons quelques témoignages de particuliers sur le climat d’intolérance que l’on peut percevoir sur cette portion de territoire :


-Le 13 juillet 2018, une internaute d’origine indienne affirme aigrement : « Sans compter le prix élevé des produits, les trottoirs puants, couverts de crottes de chiens que leurs maîtres ne ramassent pas souvent, le vrai souci pour moi c'est la xénophobie exécrable des résidents et même des commerçants. Il faut avoir la bonne "tête" - franco-française, du moins de la race blanche, avec la tenue et les accessoires de grandes marques. Autrement, c'est le harcèlement raciste au quotidien : commentaires en haute voix, regard hostile, bousculade exprès, scène scandaleuse en public, alerte à la vigile dans les commerces (évidemment tous les gens de couleur sont soit terroristes, soit voleurs, sinon les deux, sic !) : C'est juste hallucinant. Tout cela de la part des hommes, femmes, jeunes, moins jeunes, adolescents. Avant de vivre ici (depuis 4 ans) je ne savais pas qu'il existait des Parisiens capables d'une telle bassesse, telle mesquinerie. » (ville-ideale.fr)


-Le 25 septembre 2018, un certain "Ulyse" confirme en partie ce tableau noir : « Etat d'esprit des habitants et commerçants très "limite". Le racisme et la condescendance sont légion. Surtout, la voirie n'est pas du tout aménagée. Très dangereux pour les vélos, pas de piste cyclable alors que les trottoirs sont plus que larges pour le nombre de personnes encore en état de marcher! Franchement le pire des arrondissements parisiens où j'ai vécu. »


-Alp16, le 12 mai 2018, assurait déjà : « 3/4 des habitant sont mal éduqués, raciste, hautin, parfois même dans le méprisable surtout si vous n'avez pas la "tête" du quartier ou un sac pour les femmes à plus de 5.000 euros et pour les hommes un petit polo à cheval ou une montre à 10.000 euros. »


Ces témoignages, naturellement, n’épuisent pas la réalité du 16e arrondissement. Cette zone de Paris demeure globalement paisible, calme, ses boulevards offrent une architecture remarquable, de belles perspectives verdoyantes. Un écrin que les riverains entendent préserver légitimement, mais leur attitude trop exclusivement défensive, à la longue, risque de se retourner contre eux.


Pierre-André Bizien

 

 

Pour aller plus loin:

 

Mairie du 16e arrondissement