L'histoire des Vietnamiens de France - témoignage de Dung Pham Tran

Article publié le 30/09/2022

Un livre étonnant, drôle et savoureux vient de paraître sur le Vietnam et le génie de son peuple, aux éditions L'Harmattan (Histoire d'une grande famille vietnamienne, Madame Kien et les siens). En filigrane, l'ouvrage évoque le destin d'une femme rayonnante, madame Kien, qui fédéra autour d'elle le tout-Paris vietnamien. Entretien avec son fils, Dung Pham Tran :

 

1- Comment vous est venue l'idée d'écrire un livre sur votre mère?

 

A la mort de ma mère en 2018, en rangeant ses affaires, j’ai retrouvé un cahier sur lequel elle avait consigné ses souvenirs d’enfance au Vietnam. Ce travail de mémoire datait des années 90, et tout était écrit en Vietnamien. Comme je ne parle pas couramment la langue de mes ancêtres, je l’ai d’abord fait traduire en français afin de bien comprendre ses souvenirs.  Avec émotion, j’ai ainsi découvert le détail de son enfance dorée dans le palais de mon grand-père, au pays… Ce qui était raconté était d’une grande beauté, presque féerique. J’ai alors souhaité en savoir davantage, et je me suis dit qu’il serait intéressant de reconstituer toute sa vie, ainsi que celle de mes aïeux.

C’était un continent perdu, il fallait vite l’exhumer avant qu’il ne soit définitivement enseveli sous la vase de l’oubli...  Il y avait urgence, car nombre des « sachants » qui ont connu la vie de ma mère au Vietnam et ses débuts en France, étaient très âgés (plus de 80 ans). Nous nous sommes donc lancés dans une vaste enquête auprès des membres de ma famille étendue dispersée en Ile-de-France. Plus de 20 personnes ont été interviewées, certaines ont pleuré d’émotion en évoquant leurs souvenirs, j’ai moi-même découvert des histoires que j’ignorais jusqu’à ce moment... ce fut une révélation incroyable sur ma famille, et plus largement sur la vie des émigrés vietnamiens en France.

 

2- Pourquoi votre mère avait-elle un rayonnement si particulier dans la communauté vietnamienne d'Ile-de-France?

 

Lorsque ma mère est arrivée en France en 1949, la communauté vietnamienne était très réduite. La réputation de mon grand-père (un mandarin) l’avait précédé lorsqu’il arriva en France dans les années 50 ; aussi la beauté, le caractère enjoué de ma mère la fit connaitre rapidement du milieu vietnamien. Par la suite, lorsque de plus en plus de membres de sa famille arrivèrent en France, suivant les soubresauts de la guerre, ma mère a décidé d’organiser des conditions de vie heureuses pour chaque nouvel arrivant : fêtes, dîners où l’on pouvait retrouver des amis du pays...

Elle organisait avec gourmandise, dès qu’une occasion se présentait, des grandes réceptions dans notre grande maison de Fontenay aux Roses (mariage, Têt, anniversaire, …). Elle accueillait tout le monde avec une prodigalité qui la rendait centrale. Elle avait aussi un caractère très direct et aimait distiller des conseils judicieux à tous ceux qui avaient des problèmes. Elle le faisait aussi bien pour sa famille que pour les gens qui l’entouraient. Elle devint ainsi très vite une figure du tout-Paris vietnamien. 

 

3- Comment expliquez-vous le succès si caractéristique de votre famille dans le monde du travail?

 

Nous avons toujours vécu dans la tradition vietnamienne qui considère l’éducation des enfants comme prioritaire. Mes parents comme mes oncles et tantes ont toujours poussé leurs enfants à faire de longues études  : école d’ingénieur, médecine, pharmacie, école de commerce… et dans le même temps ils nous enseignaient le sens de l’effort, surtout par leurs propres exemples. Ils sont arrivés en France en ayant tout perdu, repartant de 0. Ma génération leur doit tout : la réussite, l’aisance, le sens de la famille.

 

4- Comment se porte la dynamique de la communauté vietnamienne en France? Les liens entre ses membres se sont-ils renforcés ou distendus depuis les années 60?

 

Depuis les années 60, le nombre de vietnamien a énormément augmenté, notamment dans les années 1980 avec le phénomène des boat people. Ma génération qui a eu 20 ans au début de cette vague a beaucoup vécu de façon communautaire : mes bons amis étaient à 80% des Vietnamiens de la 2è génération, ceux qui sont nés en France. On se mariait entre Vietnamiens de 2è génération, on fréquentait des associations de Vietnamiens.

Aujourd’hui la génération de mes filles (qui ont maintenant 30ans) est beaucoup plus intégrée dans le milieu français et fait plutôt un rejet des Vietnamiens de leur âge, qui sont pour beaucoup les enfants des boat people, avec une culture encore très « vietnamienne traditionnelle ». Mais, cette arrivée massive des Vietnamiens dans les années 80 a vu l'apparition de quartiers asiatiques (Paris 13è, Belleville, Torcy, …) et de nouveaux groupes se sont constitués, néanmoins peu attractifs par leur culture, à la génération de mes enfants.

 

5- Qu'est-ce que la culture vietnamienne peut apporter à la France ?

 

Outre un autre regard spirituel et une conception très exigente de l’effort, la “bouffe” !!!!! Le pho, le nem, le bao...

 

6- Quels conseils pourriez-vous donner à un jeune pour réussir dans les affaires, s'il part d'un milieu modeste?

 

J’ai en effet contribué aux Entretiens de l’Excellence (j’ai organisé le 1er événement en 2006) qui se donnent pour objectif d’aider les jeunes à réussir leur vie professionnelle. Mes conseils sont les suivants : ayez le sens de l’effort, parlez anglais couramment, travaillez votre savoir-être (être respectueux, avoir confiance en soi, donner confiance, être positif, oser intelligemment).

 

7- Comment analysez-vous le rapport France-Vietnam aujourd'hui? La francophonie étant en perte de vitesse, l'ancienne colonie a-t-elle définitivement tourné la page française?

 

Il est clair que la France n’est plus du tout présente au Vietnam. Les Vietnamiens, malgré les souffrances de la guerre d’Indochine, ont une bonne image de la France, le pays ou on vit bien, le pays du luxe, de la bonne bouffe, … Les beaux monuments vietnamiens ont pour la plupart été construits par les Français (l'opéra de Hanoi, l’hôtel Métropole, la poste de Ho chi Minh ville, les belles villas de Da Lat, …). Je trouve dommage que la France ne fasse pas davantage d’effort pour se rapprocher du Vietnam et attirer davantage d’étudiants vietnamiens dans les grandes écoles françaises. 

 

8- Vous avez fréquenté l'empereur du Vietnam en exil au cours de votre jeunesse. Vous rappelez-vous d'une anecdote plaisante?

 

L’Empereur était bien un grand joueur de bridge, comme mon oncle Bac Huynh (qui m’a initié à ce jeu de cartes) qui jouait souvent avec lui. Mes parents ont en effet invité l’empereur Bao Dai et mon oncle Bac Huynh à venir jouer au bridge chez eux. Avant de commencer toute partie, il convenait de respecter certains protocoles : je devais l’appeler «Majesté » et je devais agréer qu’il s’installe seul à la table et commence à manger seul devant nous, sans même attendre la maitresse de maison (il n’avait pas perdu ses habitudes d’empereur…).

Après le déjeuner, j’ai eu la chance d’être son partenaire pour les parties de bridge : il a été d’une grande patience avec moi. A l’époque, la méthode la plus usuelle était « la majeure 5è » que tout bon joueur de bridge devait connaitre par cœur. L’Empereur jouait une méthode beaucoup plus sophistiquée (et donc plus compliquée) qui s’appelait « le trèfle de précision ». Il a pris du temps pour m’expliquer cette méthode et m’a même dédicacé un livre qui explique cette méthode…  

 

Pour aller plus loin :

 

Histoire d'une grande famille vietnamienne, Madame Kien et les siens, L'Harmattan, 2022

 

Histoire du Viêt Nam de la colonisation à nos jours, Editions de la Sorbonne, 2018