La pensée d'Henri Tincq, journaliste chrétien spécialiste des religions - mort du coronavirus

Article publié le 30/03/2020

Narrateur avisé de l'état spirituel français, l'ancien spécialiste de la rubrique religion du Monde, Henri Tincq, est décédé du coronavirus (nuit du dimanche 29 mars 2020).


Comment mesurer son apport à l'énorme dossier du fait religieux en France? Avec bienveillance avant tout, car il appartenait à cette vieille classe de journalistes-reporters qui n'avaient pas peur d'assaisonner l'information de réflexions intelligentes, de celles qui invitaient à "penser au-delà". Ainsi relevait-il, à l'époque des attentats, ce paradoxe intéressant: la France n'a jamais autant parlé de religion et été si peu religieuse. Ainsi ce bonheur de la formule, qui pouvait aussi déplaire:

"comment imaginer que des évêques, des cardinaux célèbrent la messe le matin et se retrouvent le soir dans des saunas gays ?"(Henri Tincq, Le Point, 2 octobre 2019)

Ce qu'il faut relever de la pensée d'Henrin Tincq, c'est qu'elle était empreinte d'humilité religieuse, d'une tolérance parfois presque facile, mais sincère:

"Mais l'enjeu de la crise catholique aujourd'hui est la fin d'un système de pouvoir. Un système clérical, patriarcal, romain, machiste, sexiste, incarné par un gouvernement et un pape, dit infaillible, qui n'a de comptes à rendre qu'à Dieu" (Henri Tincq, Le Point, 2 octobre 2019)

"Le choix devrait être laissé aux futurs prêtres entre le célibat et le mariage. Je ne suis pas en faveur du mariage des prêtres, mais il faut rappeler que l'ordination d'hommes mariés ne soulève aucun problème de doctrine !"(Henri Tincq, Le Point, 2 octobre 2019)

"Commençons par arrêter d'appeler « Monseigneur » l'évêque ou « Éminence » le cardinal ! À notre époque, de tels titres n'ont plus aucun sens."(Henri Tincq, Le Point, 2 octobre 2019)

 

On pense surtout à cet aveu intime, rare chez un analyste:

 

"Comment cacher que ma propre foi dans cette Église – et ma foi tout court – a été sérieusement ébranlée par ces révélations de pratiques homosexuelles, d'abus sexuels de prêtres sur des enfants et sur des religieuses ?" (Henri Tincq, Le Point, 2 octobre 2019)

Allons à l'essentiel: ce journaliste consciencieux savait évoquer le fait religieux avec rigueur et tendresse dans le même souffle, virtuosité dont peu de ses confrères peuvent s'enorgueillir. Le meilleur de son héritage intellectuel est là, dans ce ton, cette inflexion subtile, que notre époque ne sait plus atteindre à force de polémiques et de clashs permanents.

 

S'il fallait relever les limites de son expertise, exercice ingrat notamment vis-à-vis d'un tel professionnel, il faudrait peut-être regretter certains manques de lucidité de fond, liés sans doute à l'empreinte idéologique du sociologisme français. Je pense notamment à cette démonstration légère révélatrice d'arrière-craintes de respectabilité:

 

"Peut-on laisser dire que l'Eglise catholique est méprisée par la société politique et les médias quand le monde continue de vénérer la personnalité d'un pape qui dénonce les dérapages des économies libérales (...)" (Henri Tincq, La grande peur des catholiques de France, 2018)

 

Être catholique de gauche, en France, cela implique de se faire pardonner... Henri Tincq, je le crains, redoutait d'être associé aux forces de la réaction du fait de sa foi. Cette peur, nous pensons qu'elle a peut-être émoussé certaines de ses analyses, retenu un peu sa plume lorsque des réalités difficiles devaient être constatées. On pensera ici, notamment, à la question de l'islam et de ses dérives: si Henri Tincq n'était pas tendre envers les islamistes, il semblait parfois stagner dans une critique de basse intensité pour éviter les insultes en retour.

 

Ainsi, concernant la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement religieux, ce passage fort discutable: "on ne peut pas demander aux musulmans le même effort que celui qui a été accompli par les catholiques (...)" (Henri Tincq, Slate, 25 avril 2018)

 

Henri Tincq, grand journaliste, manquera cruellement à la profession. Par chance, il nous reste ses livres à méditer.

Pierre-André Bizien