Les conditions scolaires dans les années 60 - Cours, calcul, pédagogie

Article publié le 06/10/2022

Comment travaillait à l'école un petit garçon d'origine vietnamienne, dans les années 60 ? Extrait drôle et sympathique de l'ouvrage "Madame Kien et les siens", L'Harmattan, 2022 :

 

"Sur le plan des résultats scolaires, en revanche, le maigrichon fait des ravages : malgré son retard en français, il coiffe sur le poteau ses petits camarades dès le cours préparatoire. En complément d’activité, sa mère lui fait suivre des leçons de piano avec son frère, auprès d’une grosse dame qui rappelle la Castafiore de chez Tintin. A chaque séance, les deux otages ont droit à une mitraille de postillons, à des propos de cantatrice exaltée auxquels ils ne comprennent rien.

Après quelques épreuves de chant traumatiques, la femme de l’art écrase leurs petits doigts sur les touches en les faisant reprendre dix fois la même partition. Elle les fixe de ses yeux vitreux de poisson mort, les arrête, les tance comme des virtuoses qui auraient décidé de faire n’importe quoi... Sur quoi l’heure se termine et elle les quitte. Cette femme avait épousé un petit homme chauve en blouse, dont le physique jurait drôlement avec le sien; dès qu’il se mettait au piano, son visage s’illuminait soudain, et il jouait divinement. Dũng saura tirer de ce souvenir une certaine finesse sensitive, qui l’accompagnera tout au long de sa carrière. 

 

De retour à l’école, après ces redoutables séances, plus rien ne lui semble difficile.   

 

Son avance devient trop nette pour qu’on puisse le maintenir au niveau de ses camarades ; à la rentrée de septembre, il saute une classe et passe directement en CE2. Expédié chez les “grands”, il reste engoncé dans sa blouse et endure les chahuts sans ciller : il noircit ses cahiers, sans dépasser l’interligne, résistant héroïquement à l’appel des pâtés dans la marge. Conquises, les institutrices le complimentent sans arrêt, contribuant à le faire passer pour un génie insupportable : c’est qu’il ne peut s’empêcher de lever son minuscule index, dès qu’il a la réponse. Le calcul mental est son délice... Ce qui tombe bien, car l’institutrice de CM1 organise des concours de neurones sans pitié : elle énonce une addition, une soustraction ou une multiplication de chiffres aléatoires, et c’est à qui répondra le premier. L’exercice est cruel, livrant les élèves à des éliminations progressives.

Les plus intrépides s’accrochent comme ils peuvent, jusqu’à ce qu’un champion se distingue en renversant tous ses adversaires. A ce jeu, Dũng est un véritable barbare. Il calcule du tac au tac et répond presque instantanément. Un jour, il parvient à calculer 25 x 25 en quelques secondes, renvoyant toute la classe à sa médiocrité. 

 

Au milieu des années 60, les conventions sont de mise à l’école.   

 

Chaque jour, dès qu’ils arrivent sous le préau, les enfants sont tenus de saluer l’ours qui fait office de directeur. Leurs blouses, repassées avec un soin maniaque, ne permettent à personne de constater de différences sociales. Si les châtiments sont passés de mode, un petit monsieur nostalgique s’applique encore à fouetter les doigts à la règle. C’est exquis... quand on regarde. Le “par cœur” est encore appliqué, dans chaque matière. Les départements, les poésies, les tables de multiplication... Les petites cervelles absorbent tout, docilement, comme une assurance pour l’avenir. En 732, les Arabes sont encore repoussés à Poitiers, et Louis XIV est un grand roi qui, certes, ensanglanta l’Europe. (...) S’il adore déjà les mathématiques, Dung hait les matières littéraires... ce qui ne l’empêche pas d’exceller en orthographe et en grammaire, l’esprit logique étant de mise."

 

Vous retrouverez l'intégralité du texte dans le livre très plaisant "Histoire d'une grande famille vietnamienne, Madame Kien et les siens", L'Harmattan, 2022.