Nassur Oumouri, nouvelle conscience du développement des Comores

Article publié le 15/11/2023

 

Entretien avec Nassur Oumouri, vice-président du fonds de développement des Comores.

 

Politicien d’avenir aux Comores, spécialiste de l’économie solidaire, Nassur Oumouri dénote sur les élites traditionnelles par un esprit aussi bienveillant qu’ingénieux, adepte des solutions de développement incongrues. Nous parlons du vice-président du fonds de développement des Comores, installé en région parisienne depuis 2007. Depuis de nombreuses années, il tente d’aider son pays en mobilisant la diaspora comorienne en France, et en pilotant des projets de développement communautaire. A l’occasion de la sortie prochaine de son projet abrasif de réformes systémiques, nous avons souhaité rencontrer cet homme discret, courtois et mystérieux…

 

Mont des lettres


Monsieur Oumouri, quelle mouche angélique vous a piqué pour que vous soyez si optimiste sur l’avenir de votre pays ?

 

Nassur Oumouri


Je note que vous employez le terme « angélique » et non « angéliste », ce qui m’aurait un peu fâché… Chez moi l’optimisme n’a rien d’une naïveté, du moins je l’espère. Au vu des synthèses inquiétantes qui atterrissent chaque jour sur ma table, je pourrais plutôt m’arracher les cheveux de désespoir. Le hic, c’est que d’autres indices volatiles nous permettent d’être confiants quant à l’avenir des Comores. Non pas rassurés, mais confiants, au conditionnel.

 

Mont des lettres


Expliquez-vous. Le pays est actuellement très bas économiquement et sur le plan du développement humain. Si je lis les dernières notes que vous m’avez procurées issues de votre ouvrage, votre PIB est 9 fois inférieur à celui de l’île Maurice et près d’un quart des enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition.

 

Nassur Oumouri


C’est exact. Si l’on prenait une métaphore architecturale des Comores actuelles, on aurait sous les yeux une tour de Pise surmontée d’un boulet de plomb et baignant dans un marais acide. En approchant un peu, on constaterait que les murs intérieurs sont tapissés d’or et d’amiante, et que les fondations s’enracinent dans un bloc de marbre de très haut prix. Ce que je veux dire, c’est que les potentialités du pays sont énormes, car sa culture musulmane originale et son positionnement géographique singulier en font une clé d’avenir entre l’Afrique et le monde arabo-indien. Les événements géopolitiques actuels plaident pour de nouveaux intermédiaires nationaux entre l’Occident, l’Afrique et l’immense monde arabo-asiatique. Or il se trouve que les Comores pourraient constituer, précisément, le pays phare de ces intermédiaires au vu de sa situation géographique, de son histoire singulière mêlant influences occidentales, arabo-musulmanes et asiatiques. 

 

Mont des lettres


Ça reste hypothétique, voire schématique… Vos théories sur les solutions que pourrait apporter l’islam comorien à tout le monde arabe, on a envie d’y croire. Je pense à la métaphore médicale assez passionnante que vous développez dans votre livre, mais n’en disons pas plus. La question c’est quand-même l’ici et le maintenant. Le président Azali bouge lui-même beaucoup pour l’avenir des Comores, vous ne pouvez pas le nier !

 

Nassur Oumouri


Bouger recouvre une foule d’attitudes possibles : marcher de l’avant… ou gesticuler. Je crois que les Comores ont d’autres besoins que des coups de menton et des danses du ventre auprès des investisseurs internationaux. Les pluies d’argent ne fertilisent pas grand-chose quand les gouttières mènent toujours aux mêmes poches.

 

Mont des lettres


Vous pointez la corruption endémique de votre pays ?

 

Nassur Oumouri


On ne peut rien vous cacher ! Cette corruption a des spécificités nationales qui pourraient entrer dans le Guiness Book des records universels… J’y consacre un long chapitre dans mon ouvrage. En 2022, la moyenne mondiale de la corruption s’établit à un indice de 57 ; en Afrique cet indice monte à 67,7 et aux Comores… à 81. Jusqu’à ce jour, aucune réforme de la fonction publique n’a permis d’enrayer le fléau, qui sécrète son poison jusque dans les structures rurales traditionnelles d’entraide !

 

Mont des lettres


D’où les réformes originales que vous proposez, à tous les niveaux de la société comorienne. Sur le papier, c’est convaincant, mais mis en pratique, comment garantir que ça serait effectif ?

 

Nassur Oumouri


La garantie vient du capital humain. Du niveau déontologique ambiant, et de systèmes de vérification légaux à tous les échelons de la société. Trois éléments qui font aujourd’hui lamentablement défaut aux Comores, malgré certains entrepreneurs exceptionnels. Al Capone aurait fait de sacrés profits s’il s’était installé à Moroni de nos jours… Le plan de réforme pour la société que je préconise est donc largement plus vaste qu’un plan comptable : c’est un plan anthropologique, appuyé sur des méthodes qui ont marché dans certains pays asiatiques notamment, et quelques idées plus personnelles que j’ai tirées de mon expérience et de mon expertise de l’économie solidaire.

 

Mont des lettres


Ces idées, je crois, vous les synthétisez dans vos 20 formules pour le développement des Comores, ailleurs dans le livre :


« La culture du bénéfice écrase le culte du profit »,


ou encore le très beau


« Salue le féodal du bout des lèvres, le politique du bout des doigts, et les Comores du bout du monde »

 

Nassur Oumouri


J’espère que ma modeste contribution aidera les citoyens de mon pays, quelles que soient leurs convictions politiques. Nous bâtirons un pays prospère à la condition de ne pas prêter l’oreille aux sirènes utopiques. La bataille du développement ne fait que commencer, comme une guérilla à mener en chaque recoin. Elle s’engagera dans chaque foyer, à destination de chaque enfant qu’il conviendra d’éduquer avec exigence, en inculquant esprit de discipline et de curiosité intellectuelle. Pour ce faire, les Lumières de l’antiquité africaine seront aussi nécessaires que les Lumières européennes, expurgées de l’esprit cynique de Voltaire. Nous bâtirons une économie rétributrice pour les petits producteurs comme pour les grands groupes industriels, dont nous favoriserons la diffusion en exigeant une redistribution fiscale raisonnable visant à éradiquer la pauvreté… graduellement. Aucune baguette magique ne saura faire autrement, et certainement pas celle du FMI.

 

 

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