Patrick Boucheron, premier historien de France - Positions sur l'histoire, analyse, citations

Article publié le 10/10/2018

L’historien Patrick Boucheron divise beaucoup. La gauche l’encense pour sa capacité à désenclaver l’histoire de France, pour son ouverture méthodologique et ses combats contre le chauvinisme mémoriel. La droite, elle, accuse Patrick Boucheron de ne pas faire de l’histoire, mais plutôt de plaquer les dérives de la sociologie sur le passé, de dissoudre le patrimoine mémoriel de la France… et, par voie de conséquence, son identité. Qu’en est-il exactement ?

 

Un homme bon


J’ai personnellement connu Patrick Boucheron. Oh, si peu me direz-vous, puisque je l’ai croisé une seule fois dans ma vie. Et pourtant, de cette seule fois, j’aime à penser que j’ai connu Patrick Boucheron. Idéologiquement parlant, je ne me sens pas siamois de cet homme, il s’en faudrait de beaucoup ; ses propos sur la France et la société éveillent un peu mon scepticisme, aux heures de réflexion intensive.


Soit. Au regard de l’admiration que j’éprouve charnellement pour cet homme, ceci n’est que poussière. Que s’est-il donc passé ? C’était il y a quelques années, dans une belle salle d’examen de la Sorbonne. Je suis alors encore cet étudiant foutraque qui arrive souvent en retard, qui s’étale, qui bavarde, sans grand esprit de sérieux.


Ce matin d’examen, pour la énième fois, je me suis réveillé trop tard. Je fonce comme un dératé et j’arrive en trombe dans la salle de composition, dégoulinant de sueur et crachant mes poumons.  Horreur : l’examen a déjà commencé.


Tous mes camarades sont courbés sur leur copie, face ravagée. J’attends le pire, un savon monumental, accompagné de remontrances excédées du professeur surveillant le partiel. Au contraire, le professeur en question se précipite vers moi à pas de chat. Il est tout sourire et m’invite à m’asseoir; d’une voix chuchotante, amicale, il m’annonce le sujet du partiel et me glisse ma copie. J’ai devant moi Patrick Boucheron, en personne, le grand historien. Il me parle plein de respect, d’un air complice, comme avec un confrère, un collègue de haut niveau. Pour la première fois de ma vie étudiante, quelqu’un me montre que je fais partie du sérail, que je suis de la famille des historiens.


Et puis ? Et puis c’est tout. J’ai eu 4 au partiel et j’ai été renvoyé. Non, je plaisante. J’ai continué mon parcours estudiantin tranquillement, désormais conscient du devoir de sérieux auquel je devais m’appliquer. En quelques instants, Patrick Boucheron m’a offert un cadeau inouï. Il m’a considéré, sans jugement. J’étais de sa famille, de l’ordre des chercheurs, tout étudiant que j’étais encore. Son attitude, cette bienveillance inconditionnelle, je l’ai reçue comme une leçon magistrale.


Alors, pour tout cela, merci monsieur Boucheron. Je n’ai pas prolongé mes études bien longtemps par la suite, mais j’ai gardé ça : la certitude d’avoir rencontré un homme bon, simple, au-dessus de sa science. 

 

La pensée de Patrick Boucheron


Historien médiéviste, spécialiste de l’Italie, ardent défenseur de l’imagination dans l’histoire, Patrick Boucheron a écrit de nombreux ouvrages érudits. Il a surtout dirigé l’Histoire mondiale de la France, un livre qui a suscité la polémique. Ses adversaires, parfois outranciers, le prennent pour un dangereux chercheur qui porte atteinte au patrimoine mémoriel français, qui le démembre dans la mer d'huile des sciences sociales. La charge est bien lourde, mais partiellement légitime.


Qu’avance Patrick Boucheron ? Pêle-mêle, les historiens doivent « faire valoir leur droit à une indifférence apaisée au fait national » ; « On ne reviendra pas à ces formes anciennes et fantasmées de récit national » ; « Le risque de l'histoire connectée est de ne s'intéresser qu'aux métissages, aux circulations de savoir, aux décloisonnements, donnant une image trop flatteuse de nous-mêmes, qui nous éloigne de nos véritables angoisses. L'histoire ne vaut que si elle est un peu déplaisante. » (Télérama, 11 mars 2015) ; « Au fond, être historien, c’est refuser de se laisser intimider par une scène originelle » (Quand l’histoire fait date, Arte 2017)


On constate une pensée nuancée, autre que celle que lui prêtent ses détracteurs. Cependant, il est vrai que la France proposée par ses soins n’est plus vraiment charnelle. Problématisée, tant mieux, désacralisée, tant mieux, mais un peu déclassée, déplumée. La France ne semble plus objet de passion, de lumière telle qu’elle a pu l’être auparavant. Elle rentre dans le registre gris des sciences sociales, où l’on passe de la vérité à l’exactitude.


Je suis sans doute ici bien sévère envers le travail de Patrick Boucheron, qui est, faut-il le rappeler, l’un de nos plus grands historiens à l’heure actuelle. Le lire est un devoir.

 

Pierre-André Bizien

 


Citations de Patrick Boucheron


« Nous sommes historiens ; nous ne détenons pas la vérité, nous la construisons » (France culture, 30 novembre 2017)


« Moi je ne crois pas au grand remplacement ; je n’écris pas des livres pour en remplacer d’autres » (France culture, 30 novembre 2017)


« Je pense que ce qui est le plus important à apprendre à l’école, c’est cela : l’épreuve de l’injustice. C’est ce qui est le plus constructeur pour un enfant » (Patrick Boucheron, Le Monde, 27 août 2016)


« Il y aura forcément un moment où l’enfant reviendra à la maison avec cette vérité terrible : "la maîtresse m’a puni alors que ce n’était pas moi". Et cela doit se passer ainsi. Car si l’on croit que le mérite est toujours récompensé, on est très mal barré dans la vie. L’école est faite, aussi, pour construire de petites injustices. Elle n’est pas là pour inculquer des valeurs, mais pour transmettre par le contraire de l’inculcation, c’est-à-dire par la mise à l’épreuve » (Patrick Boucheron, Le Monde, 27 août 2016)


« L’histoire est une ressource pour vivre et agir dans notre temps, pour y réinventer des formes de liberté, y compris dans l’épreuve » (L’Obs, 7-13 juillet 2016)

 

 


Pour aller plus loin

 

Patrick Boucheron, conférences Collège de France


Patrick Boucheron, France culture