Rôle de l'art et de l'écrivain selon Patrick Chamoiseau - citations, Noirs et Blancs, créolité

Article publié le 19/05/2018

Romancier de haute stature, Patrick Chamoiseau ne se contente pas d’être un conteur. Le magma de la polémique intellectuelle ne l’effraie pas, à plus forte raison lorsqu’il est question d’identité, de métissage et de créolité.


Ces thématiques subliminales traversent son œuvre personnelle, du roman acidulé à la pièce de théâtre. Depuis l’obtention du prix Goncourt pour Texaco (1992), Patrick Chamoiseau a su approfondir le champ suave et perlé de son écriture. On peut le trouver un peu en-deçà de son talent lorsqu’il verse dans la récrimination rituelle contre la métropole dominatrice, la description des traumatismes de l’âme créole, la défiance contre une Europe économiste, froide et austère.


Ainsi rejette-t-il l’idée d’intégration pour lui préférer « l’acceptation ou l’accueil de l’immigré » ; cette façon d’opposer abruptement les valeurs laisse parfois un peu désemparé. La texture riche et sucrée de la langue de Patrick Chamoiseau nous fait attendre des développements plus intrépides que ceux qu’il se contente parfois de servir. 


"Moi je ne pense pas que l’écrivain ait un rôle, une fonction ou une mission particulière" (Patrick Chamoiseau, Entretien médiathèque de Rochefort, juillet 2011)


"La seule exigence, me semble-t-il qui s’impose à l’écrivain ou à tout artiste, c’est d’essayer d’opérer des surgissements de la beauté. (…) Le surgissement de la beauté renouvelle la vision du monde" (Ibid)


Ce dernier fragment touche juste : la beauté n’est pas "utile" directement, à la façon d’un outil, mais elle permet indirectement bien des évolutions. Dans cette ligne, Patrick Chamoiseau nous enseigne ce que l’art peut pour notre monde – avec une lucidité qui perfore son scepticisme originel :


« L’artiste dans son travail, dans son œuvre, dans ce qu’il produit ne donne pas de solutions. »


L’œuvre d’art ne donne certes pas de "recettes", n’indique pas le "chemin", mais « ça réveille l’imagination, ça réveille l’imaginaire et ça nourrit les assises de l’esprit. Donc il vaut mieux une flambée de lucioles qu’un gros projecteur qui vous indique une route » (Entretien France culture, 19 mai 2018)


La luciole, à laquelle il compare l’artiste, n’éclaire donc pas le chemin mais elle réenchante la nuit, et c’est à ce titre qu’elle nous offre davantage que l’utilité prosaïque attendue.


Certains soupçonnent Patrick Chamoiseau de nourrir une sorte de rage envers l’homme blanc, essentialisé en épouvantail malfaisant. Il faut ici se garder des approches caricaturales :


« Je suis plus proche de n’importe quel écrivain blanc de la Caraïbe que d’un écrivain africain, même si ma peau me donne des solidarités évidentes avec les écrivains de l’Afrique et avec l’Afrique » (Citation de Patrick Chamoiseau, France culture, 19 mai 2018)


Ce qui fait cime dans l’engagement de Patrick Chamoiseau, c’est la soif de justice élémentaire, le relèvement du seuil d’humanité minimale à garantir pour chaque être humain. On peut juger ces positions faciles, il n’empêche : elles nous projettent au cœur des questionnements que l’on contourne trop souvent en invoquant la force des choses. Chamoiseau, y compris dans ses excès, doit être entendu :


« On peut voir les flux migratoires comme un réveil du sang de la terre, un renouvellement énergétique qui vient réanimer des tissus morts ou des abondances figées. La puissance des migrations, leur tragique, nous oblige à considérer qu’un autre monde se réveille, qu’une dimension oubliée de notre vivre-ensemble se rappelle à notre mémoire : le vivre en relation. Homo sapiens est un migrant congénital. » (Patrick Chamoiseau, Libération, 4 juin 2017)

 

 

(Crédit photo : Radio-Canada/Christian Côté)